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entreprendre ce commerce, puisqu’on ne peut vendre publiquement les Nègres lorsqu’ils sont débarqués, nous ne désirons faire qu’un seul voyage, pour en ramener secrètement et les répartir sur nos plantations. » En un mot, la question était que si je voulais aller à bord comme leur subrécargue[1], pour diriger la traite sur la côte de Guinée, j’aurais ma portion contingente de Nègres sans fournir ma quote-part d’argent.

C’eût été une belle proposition, il faut en convenir, si elle avait été faite à quelqu’un qui n’eût pas eu à gouverner un établissement et une plantation à soi appartenant, en beau chemin de devenir considérables et d’un excellent rapport ; mais pour moi, qui étais ainsi engagé et établi, qui n’avais qu’à poursuivre, comme j’avais commencé, pendant trois ou quatre ans encore, et qu’à faire venir d’Angleterre mes autres cent livres sterling restant, pour être alors, avec cette petite addition, à peu près possesseur de trois ou quatre mille livres, qui accroîtraient encore chaque jour ; mais pour moi, dis-je, penser à un pareil voyage, c’était la plus absurde chose dont un homme placé en de semblables circonstances pouvait se rendre coupable.

Mais comme j’étais né pour être mon propre destructeur, il me fut aussi impossible de résister à cette offre, qu’il me l’avait été de maîtriser mes premières idées vagabondes lorsque les bons conseils de mon père échouèrent contre moi. En un mot, je leur dis que j’irais de tout mon cœur s’ils voulaient se charger de conduire ma plantation durant mon absence, et en disposer ainsi que je l’ordonnerais si je venais à faire naufrage. Ils me le promirent, et ils s’y engagèrent par écrit ou par convention, et je fis un testament formel, disposant de ma plantation et de mes effets, en cas de mort, et instituant mon légataire universel, le capitaine de vaisseau

  1. Note de Wikisource : agent désigné par l’armateur pour régir la comptabilité du navire.