Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et le troisième, car nous en avions trois, je le chargeai de cinq chevrotines. Je pointai du mieux que je pus ma première arme pour le frapper à la tête ; mais il était couché de telle façon, avec une patte passée un peu au-dessus de son mufle, que les lingots l’atteignirent à la jambe, près du genou, et lui brisèrent l’os. Il tressaillit d’abord en grondant ; mais sentant sa jambe brisée, il se rabattit, puis il se dressa sur trois jambes, et jeta le plus effroyable rugissement que j’entendis jamais. Je fus un peu surpris de ne l’avoir point frappé à la tête. Néanmoins je pris aussitôt mon second mousquet, et quoiqu’il commençât à s’éloigner, je fis feu de nouveau ; je l’atteignis à la tête, et j’eus le plaisir de le voir se laisser tomber silencieusement et se roidir en luttant contre la mort. Xury prit alors du cœur, et me demanda de le laisser aller à terre. « Soit ; va », lui dis-je. Aussitôt ce garçon sauta à l’eau, et tenant un petit mousquet d’une main, il nagea de l’autre jusqu’au rivage. Puis, s’étant approché du lion, il lui posa le canon du mousquet à l’oreille et le lui déchargea aussi dans la tête, ce qui l’expédia tout-à-fait.

C’était véritablement une chasse pour nous, mais ce n’était pas du gibier, et j’étais très fâché de perdre trois charges de poudre et des balles sur une créature qui n’était bonne à rien pour nous. Xury, néanmoins, voulait en emporter quelque chose. Il vint donc à bord, et me demanda de lui donner la hache. — « Pour quoi faire, Xury ? lui dis-je. » — « Moi trancher sa tête, répondit-il. » Toutefois Xury ne put pas la lui trancher, mais il lui coupa une patte qu’il m’apporta : elle était monstrueuse.

Cependant je réfléchis que sa peau pourrait, d’une façon ou d’une autre, nous être de quelque valeur, et je résolus de l’écorcher si je le pouvais. Xury et moi