Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un petit navire à mon commandement. Mon maître étant parti, je commençai à me munir, non d’ustensiles de pêche, mais de provisions de voyage, quoique je ne susse ni ne considérasse où je devais faire route, pour sortir de ce lieu, tout chemin m’étant bon.

Mon premier soin fut de trouver un prétexte pour engager le Maure à mettre à bord quelque chose pour notre subsistance. Je lui dis qu’il ne fallait pas que nous comptassions manger le pain de notre patron. — Cela est juste, répliqua-t-il ; — et il apporta une grande corbeille de rusk ou de biscuit de mer de leur façon et trois jarres d’eau fraîche. Je savais où mon maître avait placé son coffre à liqueurs, qui, cela était évident par sa structure, devait provenir d’une prise faite sur les Anglais. J’en transportai les bouteilles dans la chaloupe tandis que le Maure était sur le rivage, comme si elles eussent été mises là auparavant pour notre maître. J’y transportai aussi un gros bloc de cire-vierge qui pesait bien environ un demi-quintal, avec un paquet de fil ou ficelle, une hache, une scie et un marteau, qui nous furent tous d’un grand usage dans la suite, surtout le morceau de cire pour faire des chandelles. Puis j’essayai sur le Maure d’une autre tromperie dans laquelle il donna encore innocemment. Son nom était Ismaël, dont les Maures font Muly ou Moléy ; ainsi l’appelai-je et lui dis-je : — Moléy, les mousquets de notre patron sont à bord de la chaloupe ; ne pourriez-vous pas vous procurer un peu de poudre et de plomb de chasse, afin de tuer, pour nous autres, quelques alcamies, — oiseau semblable à notre courlieu, — car je sais qu’il a laissé à bord du navire les provisions de la soute aux poudres. — Oui, dit-il, j’en apporterai un peu. — Et en effet il apporta une grande poche de cuir contenant environ une livre et demie de poudre, plutôt plus que moins,