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nasse du navire et de s’en aller pêcher dans la rade ; pour tirer à la rame il m’emmenait toujours avec lui, ainsi qu’un jeune Maurisque[1] ; nous le divertissions beaucoup, et je me montrais fort adroit à attraper le poisson ; si bien qu’il m’envoyait quelquefois avec un Maure de ses parents et le jeune garçon, le Maurisque, comme on l’appelait, pour lui pêcher un plat de poisson.

Une fois, il arriva qu’étant allé à la pêche, un matin, par un grand calme, une brume s’éleva si épaisse que nous perdîmes de vue le rivage, quoique nous n’en fussions pas éloignés d’une demi-lieue. Ramant à l’aventure, nous peinâmes tout le jour et toute la nuit suivante ; et, quand vint le matin, nous nous trouvâmes avoir gagné le large au lieu d’avoir gagné la rive, dont nous étions écartés au moins de deux lieues. Cependant nous l’atteignîmes, à la vérité non sans beaucoup d’efforts et non sans quelque danger, car dans la matinée le vent commença à souffler assez fort, et nous étions tous mourants de faim.

Or, notre patron, mis en garde par cette aventure, résolut d’avoir plus soin de lui à l’avenir ; ayant à sa disposition la chaloupe de notre navire anglais qu’il avait capturé, il se détermina à ne plus aller à la pêche sans une boussole et quelques provisions, et il ordonna au charpentier de son bâtiment, qui était aussi un Anglais esclave, d’y construire dans le milieu une chambre de parade ou cabine semblable à celle d’un canot de plaisance, laissant assez de place derrière pour manier le gouvernail et border les écoutes, et assez de place devant pour qu’une personne ou deux pussent manœuvrer la voile. Cette cha-

  1. On appelle Moriscos, en espagnol, les Maures qui embrassèrent le Christianisme, lorsque l’Espagne fut reconquise, et qui depuis en ont été chassés. P. B.