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vaisseau. Il était mouillé à un peu plus d’un demi-mille du rivage ; car ils avaient appareillé dès qu’ils en avaient été maîtres ; et, comme il faisait beau, ils étaient venus jeter l’ancre à l’embouchure de la petite crique ; puis, à la faveur de la marée haute, le capitaine amenant la pinace près de l’endroit où j’avais autrefois abordé avec mes radeaux, il avait débarqué juste à ma porte.

Je fus d’abord sur le point de m’évanouir de surprise ; car je voyais positivement ma délivrance dans mes mains, toutes choses faciles, et un grand bâtiment prêt à me transporter s’il me plaisait de partir. Pendant quelque temps je fus incapable de répondre un seul mot ; mais, comme le capitaine m’avait pris dans ses bras, je m’appuyai fortement sur lui, sans quoi je serais tombé par terre.

Il s’apperçut de ma défaillance, et, tirant vite une bouteille de sa poche, me fit boire un trait d’une liqueur cordiale qu’il avait apportée exprès pour moi. Après avoir bu, je m’assis à terre ; et, quoique cela m’eût rappelé à moi-même, je fus encore long-temps sans pouvoir lui dire un mot.

Cependant le pauvre homme était dans un aussi grand ravissement que moi, seulement il n’était pas comme moi sous le coup de la surprise. Il me disait mille bonnes et tendres choses pour me calmer et rappeler mes sens. Mais il y avait un tel gonflement de joie dans ma poitrine, que mes esprits étaient plongés dans la confusion ; enfin il débonda par des larmes, et peu après je recouvrai la parole.

Alors je l’étreignis à mon tour, je l’embrassai comme mon libérateur, et nous nous abandonnâmes à la joie. Je lui dis que je le regardais comme un homme envoyé par le Ciel pour me délivrer ; que toute cette affaire me sem-