Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/404

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la vérité paraissaient affligés, mais pas aussi profondément que le premier.

À cette vue je fus jeté dans un grand trouble, et je ne savais quel serait le sens de tout cela. — Vendredi tout-à-coup s’écria en anglais et de son mieux possible : — Ô maître ! vous voir hommes anglais manger prisonniers aussi bien qu’hommes sauvages ! » — « Quoi ! dis-je à Vendredi, tu penses qu’ils vont les manger ? » — « Oui, répondit-il, eux vouloir les manger. » — « Non, non, répliquai-je : je redoute, à la vérité, qu’ils ne veuillent les assassiner, mais sois sûr qu’ils ne les mangeront pas. »

Durant tout ce temps je n’eus aucune idée de ce que réellement ce pouvait être ; mais je demeurais tremblant d’horreur à ce spectacle, m’attendant à tout instant que les trois prisonniers seraient massacrés. Je vis même une fois un de ces scélérats lever un grand coutelas ou poignard, — comme l’appellent les marins, — pour frapper un de ces malheureux hommes. Je crus que c’était fait de lui, tout mon sang se glaça dans mes veines.

Je regrettais alors du fond du cœur notre Espagnol et le vieux Sauvage parti avec lui, et je souhaitais de trouver quelque moyen d’arriver inapperçu à portée de fusil de ces bandits pour délivrer les trois hommes ; car je ne leur voyais point d’armes à feu. Mais un autre expédient se présenta à mon esprit.

Après avoir remarqué l’outrageux traitement fait aux trois prisonniers par l’insolent matelot, je vis que ses compagnons se dispersèrent par toute l’île, comme s’ils voulaient reconnaître le pays. Je remarquai aussi que les trois autres avaient la liberté d’aller où il leur plairait ; mais ils s’assirent touts trois à terre, très-mornes et l’œil hagard comme des hommes au désespoir.