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tes, qui étaient, disait-il, seize encore vivants, fussent survenus, cette provision aurait été plus qu’insuffisante, bien loin de pouvoir avitailler notre vaisseau si nous en construisions un afin de passer à l’une des colonies chrétiennes de l’Amérique. Il me dit donc qu’il croyait plus convenable que je permisse à lui et au deux autres de défricher et de cultiver de nouvelles terres, d’y semer tout le grain que je pourrais épargner, et que nous attendissions cette moisson, afin d’avoir un surcroît de blé quand viendraient ses compatriotes ; car la disette pourrait être pour eux une occasion de quereller, ou de ne point se croire délivrés, mais tombés d’une misère dans une autre. — « Vous le savez, dit-il, quoique les enfants d’Israël se réjouirent d’abord de leur sortie de l’Égypte, cependant ils se révoltèrent contre Dieu lui-même, qui les avait délivrés, quand ils vinrent à manquer de pain dans le désert. »

Sa prévoyance était si sage et son avis si bon, que je fus aussi charmé de sa proposition que satisfait de sa fidélité. Nous nous mîmes donc à labourer touts quatre du mieux que nous permettaient les outils de bois dont nous étions pourvus ; et dans l’espace d’un mois environ, au bout duquel venait le temps des semailles, nous eûmes défriché et préparé assez de terre pour semer vingt-deux boisseaux d’orge et seize jarres de riz, ce qui était, en un mot, tout ce que nous pouvions distraire de notre grain ; au fait, à peine nous réservâmes-nous assez d’orge pour notre nourriture durant les six mois que nous avions à attendre notre récolte, j’entends six mois à partir du moment où nous eûmes mis à part notre grain destiné aux semailles ; car on ne doit pas supposer qu’il demeure six mois en terre dans ce pays.

Étant alors en assez nombreuse société pour ne point redouter les Sauvages, à moins qu’ils ne vinssent en foule,