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que vraiment je fusse outré au plus haut degré, et, rebroussant d’environ trente pas, je marchai derrière quelques buissons qui couvraient tout le chemin, jusqu’à ce que je fusse arrivé vers l’autre arbre. Là je gravis sur un petit tertre d’où ma vue plongeait librement sur les Sauvages à la distance de quatre-vingts verges environ.

Il n’y avait pas alors un moment à perdre ; car dix-neuf de ces atroces misérables étaient assis à terre touts pêle-mêle, et venaient justement d’envoyer deux d’entre eux pour égorger le pauvre Chrétien et peut-être l’apporter membre à membre à leur feu : déjà même ils étaient baissés pour lui délier les pieds. Je me tournai vers Vendredi : — « Maintenant, lui dis-je, fais ce que je te commanderai. » Il me le promit. — « Alors, Vendredi, repris-je, fais exactement ce que tu me verras faire sans y manquer en rien. » — Je posai à terre un des mousquets et mon fusil de chasse, et Vendredi m’imita ; puis avec mon autre mousquet je couchai en joue les Sauvages, en lui ordonnant de faire de même. — « Es-tu prêt ? lui dis-je alors. » — « Oui, » répondit-il. — « Allons, feu sur touts ! » — Et au même instant je tirai aussi.

Vendredi avait tellement mieux visé que moi, qu’il en tua deux et en blessa trois, tandis que j’en tuai un et en blessai deux. Ce fut, soyez-en sûr, une terrible consternation : touts ceux qui n’étaient pas blessés se dressèrent subitement sur leurs pieds ; mais ils ne savaient de quel côté fuir, quel chemin prendre, car ils ignoraient d’où leur venait la mort. Vendredi avait toujours les yeux attachés sur moi, afin, comme je le lui avais enjoint, de pouvoir suivre touts mes mouvements. Aussitôt après la première décharge je jetai mon arme et pris le fusil de chasse, et Vendredi fit de même. J’armai et couchai en joue, il arma