Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/364

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un jour que je me promenais sur la même colline et que le temps était brumeux en mer, de sorte qu’on ne pouvait appercevoir le continent, j’appelai Vendredi et lui dis : — « Ne désirerais-tu pas retourner dans ton pays, chez ta propre nation ? » — « Oui, dit-il, moi être beaucoup Ô joyeux d’être dans ma propre nation. » — « Qu’y ferais-tu ? repris-je : voudrais-tu redevenir barbare, manger de la chair humaine et retomber dans l’état sauvage où tu étais auparavant ? » — Il prit un air chagrin, et, secouant la tête, il répondit : — « Non, non, Vendredi leur conter vivre bon, leur conter prier Dieu, leur conter manger pain de blé, chair de troupeau, lait ; non plus manger hommes. » — « Alors ils te tueront. » — À ce mot il devint sérieux, et répliqua : — « Non, eux pas tuer moi, eux volontiers aimer apprendre. » — Il entendait par là qu’ils étaient très-portés à s’instruire. Puis il ajouta qu’ils avaient appris beaucoup de choses des hommes barbus qui étaient venus dans le bateau. Je lui demandai alors s’il voudrait s’en retourner ; il sourit à cette question, et me dit qu’il ne pourrait pas nager si loin. Je lui promis de lui faire un canot. Il me dit alors qu’il irait si j’allais avec lui : — « Moi partir avec toi ! m’écriai-je ; mais ils me mangeront si j’y vais. » — « Non, non, moi faire eux non manger vous, moi faire eux beaucoup aimer vous. » — Il entendait par là qu’il leur raconterait comment j’avais tué ses ennemis et sauvé sa vie, et qu’il me gagnerait ainsi leur affection. Alors il me narra de son mieux combien ils avaient été bons envers les dix-sept hommes blancs ou barbus, comme il les appelait, qui avaient abordé à leur rivage dans la détresse.

Dès ce moment, je l’avoue, je conçus l’envie de m’aventurer en mer, pour tenter s’il m’était possible de joindre ces hommes barbus, qui devaient être, selon moi, des