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rien ne se présentait : toutes mes volontés, touts mes plans n’aboutissaient à rien, car il ne venait point de Sauvages.

Un an et demi environ après que j’eus conçu ces idées, et que par une longue réflexion j’eus en quelque manière décidé qu’elles demeureraient sans résultat faute d’occasion, je fus surpris un matin, de très-bonne heure, en ne voyant pas moins de cinq canots touts ensemble au rivage sur mon côté de l’île. Les Sauvages à qui ils appartenaient étaient déjà à terre et hors de ma vue. Le nombre de ces canots rompait toutes mes mesures ; car, n’ignorant pas qu’ils venaient toujours quatre ou six, quelquefois plus, dans chaque embarcation, je ne savais que penser de cela, ni quel plan dresser pour attaquer moi seul vingt ou trente hommes. Aussi demeurai-je dans mon château embarrassé et abattu. Cependant, dans la même attitude que j’avais prise autrefois, je me préparai à repousser une attaque ; j’étais tout prêt à agir si quelque chose se fût présenté. Ayant attendu long-temps et long-temps prêté l’oreille pour écouter s’il se faisait quelque bruit, je m’impatientai enfin ; et, laissant mes deux fusils au pied de mon échelle, je montai jusqu’au sommet du rocher, en deux escalades, comme d’ordinaire. Là, posté de façon à ce que ma tête ne parût point au-dessus de la cime, pour qu’en aucune manière on ne pût m’appercevoir, j’observai à l’aide de mes lunettes d’approche qu’ils étaient au moins au nombre de trente, qu’ils avaient allumé un feu et préparé leur nourriture : quel aliment était-ce et comment l’accommodaient-ils, c’est ce que je ne pus savoir ; mais je les vis touts danser autour du feu, et, suivant leur coutume, avec je ne sais combien de figures et de gesticulations barbares.

Tandis que je regardais ainsi, j’apperçus par ma longue-vue deux misérables qu’on tirait des pirogues, où sans doute