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d’effectuer quelque tentative de fuite, c’était de m’acquérir un Sauvage, surtout, si c’était possible, quelque prisonnier condamné à être mangé et amené à terre pour être égorgé. Mais une difficulté s’élevait encore. Il était impossible d’exécuter ce dessein sans assaillir et massacrer toute une caravane : vrai coup de désespoir qui pouvait si facilement manquer ! D’un autre côté j’avais de grands scrupules sur la légitimité de cet acte, et mon cœur bondissait à la seule pensée de verser tant de sang, bien que ce fût pour ma délivrance. Il n’est pas besoin de répéter ici les arguments qui venaient plaider contre ce bon sentiment : ce sont les mêmes que ceux dont il a été déjà fait mention ; mais, quoique j’eusse encore d’autres raisons à exposer alors, c’est-à-dire que ces hommes étaient mes ennemis et me dévoreraient s’il leur était possible ; que c’était réellement pour ma propre conservation que je devais me délivrer de cette mort dans la vie, et que j’agissais pour ma propre défense tout aussi bien que s’ils m’attaquaient ; quoique, dis-je, toutes ces raisons militassent pour moi, cependant la pensée de verser du sang humain pour ma délivrance m’était si terrible, que j’eus beau faire, je ne pus de long-temps me concilier avec elle.

Néanmoins, enfin, après beaucoup de délibérations intimes, après de grandes perplexités, — car touts ces arguments pour et contre s’agitèrent long-temps dans ma tête, — mon véhément désir prévalut et étouffa tout le reste, et je me déterminai, coûte que coûte, à m’emparer de quelqu’un de ces Sauvages. La question était alors de savoir comment m’y prendre, et c’était chose difficile à résoudre ; mais, comme aucun moyen probable ne se présentait à mon choix, je résolus donc de faire seulement sentinelle pour guetter quand ils débarqueraient, de n’arrêter