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tranquillité possible, quand peut-être il n’y avait que la pointe d’une colline, un arbre, ou les premières ombres de la nuit, entre moi et le plus affreux de touts les sorts, celui de tomber entre les mains des Sauvages, des cannibales, qui se seraient saisis de moi dans le même but que je le faisais d’une chèvre ou d’une tortue, et n’auraient pas plus pensé faire un crime en me tuant et en me dévorant, que moi en mangeant un pigeon ou un courlis. Je serais injustement mon propre détracteur, si je disais que je ne rendis pas sincèrement grâce à mon divin Conservateur pour toutes les délivrances inconnues qu’avec la plus grande humilité je confessais devoir à sa toute particulière protection, sans laquelle je serais inévitablement tombé entre ces mains impitoyables.

Ces considérations m’amenèrent à faire des réflexions, sur la nature de ces Sauvages, et à examiner comment il se faisait qu’en ce monde le sage Dispensateur de toutes choses eût abandonné quelques-unes de ses créatures à une telle inhumanité, au-dessous de la brutalité même, qu’elles vont jusqu’à se dévorer dans leur propre espèce. Mais comme cela n’aboutissait qu’à de vaines spéculations, je me pris à rechercher dans quel endroit du monde ces malheureux vivaient ; à quelle distance était la côte d’où ils venaient ; pourquoi ils s’aventuraient si loin de chez eux ; quelle sorte de bateaux ils avaient, et pourquoi je ne pourrais pas en ordonner de moi et de mes affaires de façon à être à même d’aller à eux aussi bien qu’ils venaient à moi.

Je ne me mis nullement en peine de ce que je ferais de moi quand je serais parvenu là, de ce que je deviendrais si je tombais entre les mains des Sauvages ; comment je leur échapperais s’ils m’entreprenaient, comment il me se-