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entraîné par l’un de ces courants, je ne pourrais pas être ramené par l’autre avec la même rapidité. Cela ne me fut pas plus tôt entré dans la tête, que je jetai mes regards sur un monticule qui dominait suffisamment les deux côtes, et d’où je vis clairement la direction de la marée et la route que j’avais à suivre pour mon retour : le courant du jusant sortait du côté de la pointe Sud de l’île, le courant du flot rentrait du côté du Nord. Tout ce que j’avais à faire pour opérer mon retour était donc de serrer la pointe septentrionale de l’île.

Enhardi par cette observation, je résolus de partir le lendemain matin avec le commencement de la marée, ce que je fis en effet après avoir reposé la nuit dans mon canot sous la grande houppelande dont j’ai fait mention. Je gouvernai premièrement plein Nord, jusqu’à ce que je me sentisse soulevé par le courant qui portait à l’Est, et qui m’entraîna à une grande distance, sans cependant me désorienter, ainsi que l’avait fait autrefois le courant sur le côté Sud, et sans m’ôter toute la direction de ma pirogue. Comme je faisais un bon sillage avec ma pagaie, j’allai droit au navire échoué, et en moins de deux heures je l’atteignis.

C’était un triste spectacle à voir ! Le bâtiment, qui me parut espagnol par sa construction, était fiché et enclavé entre deux roches ; la poupe et la hanche avaient été mises en pièces par la mer ; et, comme le gaillard d’avant avait donné contre les rochers avec une violence extrême, le grand mât et le mât de misaine s’étaient brisés rez-pied ; mais le beaupré était resté en bon état, et l’avant et l’éperon paraissaient fermes. — Lorsque je me fus approché, un chien parut sur le tillac : me voyant venir, il se mit à japper et à aboyer. Aussitôt que je l’appelai il sauta à la