Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tour. Mais il me fâchait de prodiguer tant de poudre, ma provision n’étant plus alors que d’un baril, sans avoir la certitude que l’explosion se ferait en temps donné pour les surprendre : elle pouvait fort bien ne leur griller que les oreilles et les effrayer, ce qui n’eût pas été suffisant pour leur faire évacuer la place. Je renonçai donc à ce projet, et je me proposai alors de me poster en embuscade, en un lieu convenable, avec mes trois mousquets chargés à deux balles, et de faire feu au beau milieu de leur sanglante cérémonie quand je serais sûr d’en tuer ou d’en blesser deux ou trois peut-être à chaque coup. Fondant ensuite sur eux avec mes trois pistolets et mon sabre, je ne doutais pas, fussent-ils vingt, de les tuer touts. Cette idée me sourit pendant quelques semaines, et j’en étais si plein que j’en rêvais souvent, et que dans mon sommeil je me voyais quelquefois juste au moment de faire feu sur les Sauvages.

J’allai si loin dans mon indignation, que j’employai plusieurs jours à chercher un lieu propre à me mettre en embuscade pour les épier, et que même je me rendis fréquemment à l’endroit de leurs festins, avec lequel je commençais à me familiariser, surtout dans ces moments où j’étais rempli de sentiments de vengeance, et de l’idée d’en passer vingt ou trente au fil de l’épée ; mais mon animosité reculait devant l’horreur que je ressentais à cette place et à l’aspect des traces de ces misérables barbares s’entre-dévorant.

Enfin je trouvai un lieu favorable sur le versant de la colline, où je pouvais guetter en sûreté l’arrivée de leurs pirogues, puis, avant même qu’ils n’aient abordé au rivage, me glisser inapperçu dans un massif d’arbres dont un avait un creux assez grand pour me cacher tout entier. Là je pouvais me poster et observer toutes leurs abominables