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en amoncelant contre toute la terre que j’extrayais de ma grotte, et en piétinant dessus. Dans les sept meurtrières j’imaginai de placer les mousquets que j’ai dit avoir sauvés du navire au nombre de sept, et de les monter en guise de canons sur des espèces d’affûts ; de sorte que je pouvais en deux minutes faire feu de toute mon artillerie. Je fus plusieurs grands mois à achever ce rempart, et cependant je ne me crus point en sûreté qu’il ne fût fini.

Cet ouvrage terminé, pour le masquer, je fichai dans tout le terrain environnant des bâtons ou des pieux de ce bois semblable à l’osier qui croissait si facilement. Je crois que j’en plantai bien près de vingt mille, tout en réservant entre eux et mon rempart une assez grande esplanade pour découvrir l’ennemi et pour qu’il ne pût, à la faveur de ces jeunes arbres, si toutefois il le tentait, se glisser jusqu’au pied de ma muraille extérieure.

Au bout de deux ans j’eus un fourré épais, et au bout de cinq ou six ans j’eus devant ma demeure un bocage qui avait crû si prodigieusement dru et fort, qu’il était vraiment impénétrable. Âme qui vive ne se serait jamais imaginé qu’il y eût quelque chose par derrière, et surtout une habitation. Comme je ne m’étais point réservé d’avenue, je me servais pour entrer et sortir de deux échelles : avec la première je montais à un endroit peu élevé du rocher, où il y avait place pour poser la seconde ; et quand je les avais retirées toutes les deux, il était de toute impossibilité à un homme de venir à moi sans se blesser ; et quand même il eût pu y parvenir, il se serait encore trouvé au-delà de ma muraille extérieure.

C’est ainsi que je pris pour ma propre conservation toutes les mesures que la prudence humaine pouvait me suggérer, et l’on verra par la suite qu’elles n’étaient pas