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remarquable m’arrivait. Ce mémorial du temps passé me fait ressouvenir qu’il y avait un étrange rapport de dates entre les divers événements qui m’étaient advenus, et que si j’avais eu quelque penchant superstitieux à observer des jours heureux et malheureux j’aurais eu lieu de le considérer avec un grand sentiment de curiosité.

D’abord, — je l’avais remarqué, — le même jour où je rompis avec mon père et mes parents et m’enfuis à Hull pour m’embarquer, ce même jour, dans la suite, je fus pris par le corsaire de Sallé et fait esclave.

Le même jour de l’année où j’échappai du naufrage dans la rade d’Yarmouth, ce même jour, dans la suite, je m’échappai de Sallé dans un bateau.

Le même jour que je naquis, c’est-à-dire le 20 septembre, le même jour ma vie fut sauvée vingt-six ans après, lorsque je fus jeté sur mon île. Ainsi ma vie coupable et ma vie solitaire ont commencé toutes deux le même jour.

La première chose consommée après mon encre fut le pain, je veux dire le biscuit que j’avais tiré du navire. Je l’avais ménagé avec une extrême réserve, ne m’allouant qu’une seule galette par jour durant à peu près une année. Néanmoins je fus un an entier sans pain avant que d’avoir du blé de mon crû. Et grande raison j’avais d’être reconnaissant d’en avoir, sa venue étant, comme on l’a vu, presque miraculeuse.

Mes habits aussi commençaient à s’user ; quant au linge je n’en avais plus depuis long-temps, excepté quelques chemises rayées que j’avais trouvées dans les coffres des matelots, et que je conservais soigneusement, parce que souvent je ne pouvais endurer d’autres vêtements qu’une chemise. Ce fut une excellente chose pour moi que j’en