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trop vert pour eux, la perte n’était pas extrême, et que le reste donnerait une bonne moisson, si je pouvais le préserver.

Je m’arrêtai un instant pour recharger mon mousquet, puis, m’avançant un peu, je pus voir aisément mes larrons branchés sur tous les arbres d’alentour, semblant attendre mon départ, ce que l’événement confirma ; car, m’écartant de quelques pas comme si je m’en allais, je ne fus pas plus tôt hors de leur vue qu’ils s’abattirent de nouveau un à un dans les blés. J’étais si vexé, que je n’eus pas la patience d’attendre qu’ils fussent tous descendus ; je sentais que chaque grain était pour ainsi dire une miche qu’ils me dévoraient. Je me rapprochai de la haie, je fis feu de nouveau et j’en tuai trois. C’était justement ce que je souhaitais ; je les ramassai, et je fis d’eux comme on fait des insignes voleurs en Angleterre, je les pendis à un gibet pour la terreur des autres. On n’imaginerait pas quel bon effet cela produisit : non seulement les oiseaux ne revinrent plus dans les blés, mais ils émigrèrent de toute cette partie de l’île, et je n’en vis jamais un seul aux environs tout le temps que pendirent mes épouvantails.

Je fus extrêmement content de cela, comme on peut en avoir l’assurance ; et sur la fin de décembre, qui est le temps de la seconde moisson de l’année, je fis la récolte de mon blé.

J’étais pitoyablement outillé pour cela ; je n’avais ni faux ni faucille pour le couper ; tout ce que je pus faire ce fut d’en fabriquer une de mon mieux avec un des braquemarts ou coutelas que j’avais sauvés du bâtiment parmi d’autres armes. Mais, comme ma moisson était petite je n’eus pas grande difficulté à la recueillir. Bref, je la fis à ma manière, car je sciai les épis, je les emportai dans une