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traper un s’il était possible, pour le garder, l’apprivoiser et lui apprendre à causer avec moi. Après m’être donné assez de peine, j’en surpris un jeune, je l’abattis d’un coup de bâton, et, l’ayant relevé, je l’emportai à la maison. Plusieurs années s’écoulèrent avant que je pusse le faire parler ; mais enfin je lui appris à m’appeler familièrement par mon nom. L’aventure qui en résulta, quoique ce ne soit qu’une bagatelle, pourra fort bien être, en son lieu, très-divertissante.

Ce voyage me fut excessivement agréable : je trouvai dans les basses terres des animaux que je crus être des lièvres et des renards ; mais ils étaient très-différents de toutes les autres espèces que j’avais vues jusqu’alors. Bien que j’en eusse tué plusieurs je ne satisfis point mon envie d’en manger. À quoi bon m’aventurer ; je ne manquais pas d’aliments, et de très bons, surtout de trois sortes : des chèvres, des pigeons et des chélones ou tortues. Ajoutez à cela mes raisins, et le marché de Leadenhall n’aurait pu fournir une table mieux que moi, à proportion des convives. Malgré ma situation, en somme assez déplorable, j’avais pourtant grand sujet d’être reconnaissant ; car, bien loin d’être entraîné à aucune extrémité pour ma subsistance, je jouissais d’une abondance poussée même jusqu’à la délicatesse.

Dans ce voyage je ne marchais jamais plus de deux milles ou environ par jour ; mais je prenais tant de tours et de détours pour voir si je ne ferais point quelque découverte, que j’arrivais assez fatigué au lieu où je décidais de m’établir pour la nuit. Alors j’allais me loger dans un arbre, ou bien je m’entourais de pieux plantés en terre depuis un arbre jusqu’à un autre, pour que les bêtes farouches ne pussent venir à moi sans m’éveiller. En atteignant à la rive de la