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et de plus profond sur la charité publique. Il est merveilleux que l’Angleterre, avertie par de Foë, n’ait pas dès lors opposé, comme il le voulait, un obstacle à l’accroissement de ce paupérisme dont il prophétisa le développement gigantesque et l’usurpation prochaine.

En 1706, les colons de la Caroline anglaise, soumis à des règlements arbitraires, vinrent présenter leurs humbles remontrances aux communes de la Grande-Bretagne, et trouvèrent pour défenseur dévoué, éloquent et véhément, de leurs libertés envahies, Daniel de Foë. Sous ce dire bizarre La Diète de Pologne, une satire en vers, il fit l’histoire allégorique des partis et dans le Consolidateur, manuscrit tombé de la lune, il donna la première idée de ces royaumes de Laputa et de Lilliput, que Swift, dénué d’imagination, mais pétillant d’ironie et de bile amère, développa et perfectionna plus tard.

Le pouvoir, forcé de se rapprocher des opinions professées par de Foë, flatta et encouragea de nouveau l’homme qui lui était devenu nécessaire. Jusqu’à la fin du règne d’Anne, de Foë, pauvre, sans intérêt et sans ambition, défendit le même pouvoir qui l’avait frappé. Loin de trouver une source de fortune et de paix dans cette nouvelle situation, de Foë se vit en butte à des persécutions plus cruelles que jamais. On le menaçait d’assassinat ; les lettres anonymes pleuvaient sur lui ; on rachetait de vieilles créances dont le paiement partiel était chose convenue, et l’on accablait le malheureux en le sommant de payer à l’instant même ; on lui supposait des crimes. On le rendait odieux au peuple, on soudoyait ceux qui le servaient, on interceptait sa correspondance. Le détail de ces misères, de ces méchancetés, de ces bassesses, a quelque chose d’ignoble et de hideux.

Le plus remarquable ouvrage qu’il ait publié vers cette époque est un poème satirique contre la légitimité de droit divin. Ce poème a pour titre : Jure divino. Réimprimé en 1821, c’est-à-dire cent dix années après l’époque originelle de sa publication, il a obtenu un second succès. Il est dédié à Sa Majesté le Bon Sens, le bon sens, l’inspiration constante de Daniel. Pendant un séjour qu’il lit en Écosse, il publia aussi La Calédonie, poème dont le but politique était de réconcilier l’Écosse et l’Angleterre, et de faciliter l’union des deux pays. À ce propos encore, il fut étrangement calomnié.

C’était Harley, homme clairvoyant, qui avait compris le mérite et l’utilité, de de Foë ; qui l’avait sinon protégé, du moins encouragé ; qui lui avait donné champ libre et l’avait tiré de prison. Le plus intrigant et le plus astucieux des ministres, mais un des plus habiles diplomates de son temps, Harley sut se maintenir en équilibre en donnant pour double contre-poids au balancier de sa fortune les deux partis contraires. Une femme, lady Marlborough, le renversa ; de Foë perdit son dernier et faible appui. Il retourna en Écosse, où il s’était fait des amis sincères et où ses ouvrages contribuèrent singulièrement à la fusion des deux races, que le gouvernement voulait réunir. Son Histoire de l’Union est un excellent document, impartial et bien écrit. Ces services gratuits n’empêchèrent pas de Foë d’être cité devant le grand-jury, et sur le point de subir une seconde condamnation mais d’autres événements détournèrent l’attention générale. Sacheverell recommençait ses prédications fanatiques ; Londres était livrée aux émeutes populaires, et la reine Anne fut une seconde fois épouvantée des suites que devait avoir sa folle prédilection pour les Tories. On laissa de Foë respirer.

Suivre de Foë dans cette carrière, examiner chacun de ses mouvements, chacune de ses attaques, touts les coups portés ou parés par lui dans cette longue lutte, serait impossible. Depuis le commencement du règne d’Anne jusqu’à celui de George, il publia cent trente-trois ouvrages politiques, sans comprendre sa Revue. Une histoire complète, détaillée, non-seulement de cette époque, mais des mœurs et des habitudes de la cour, serait nécessaire à l’intelligence de chacun de ces pamphlets, dignes de Milton, de Burke ou de Junius. Encore une fois, il n’y gagnait rien que d’être traité d’ignorant par Swift, de niais par Pope, d’espion par Oldmixon, de libelliste par Prior, d’homme vendu par Toland, de boute-feu par Leslie, et de passer en même temps pour un esclave des ministres et un démagogue, pour un esprit turbulent et un mercenaire, pour un fanatique et un