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quipage. N’étiez-vous pas descendus onze dans la chaloupe ? où sont les dix autres ? Pourquoi n’ont-ils pas été sauvés, et toi perdu ? Pourquoi as-tu été le seul épargné ? Lequel vaut mieux d’être ici ou d’être là ? » En même temps je désignais du doigt la mer. — Il faut toujours considérer dans les maux le bon qui peut faire compensation, et ce qu’ils auraient pu amener de pire.

Alors je compris de nouveau combien j’étais largement pourvu pour ma subsistance. Quel eût été mon sort, s’il n’était pas arrivé, par une chance qui s’offrirait à peine une fois sur cent mille, que le vaisseau se soulevât du banc où était ensablé d’abord, et dérivât si proche de la côte, que j’eusse le temps d’en sortir tant de choses ! Quel eût été mon sort, s’il eût fallu que je vécusse dans le dénuement où je me trouvais en abordant le rivage, sans les premières nécessités de la vie, et sans les choses nécessaires pour me les procurer et pour y suppléer ! — « Surtout qu’aurais-je fait, m’écriai-je, sans fusil, sans munitions, sans outils pour travailler et me fabriquer bien des choses, sans vêtements, sans lit, sans tente, sans aucune espèce d’abri ! » — Mais j’avais de tout cela en abondance, et j’étais en beau chemin de pouvoir réapprovisionner par moi-même, et me passer de mon fusil, lorsque mes munitions seraient épuisées. J’étais ainsi à peu près assuré d’avoir tant que j’existerais une vie exempte du besoin. Car dès le commencement j’avais songé à me prémunir contre les accidents qui pourraient survenir, non seulement après l’entière consommation de mes munitions, mais encore après l’affaiblissement de mes forces et de ma santé.

J’avouerai, toutefois, que je n’avais pas soupçonné que mes munitions pouvaient être détruites d’un seul coup, j’entends que le feu du ciel pouvait faire sauter ma poudre ; et