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même. Ces deux animaux me fournirent de viande pour longtemps, car je vivais avec parcimonie, et ménageais mes provisions, — surtout mon pain, — autant qu’il était possible.

Ayant alors fixé le lieu de ma demeure, je trouvai qu’il était absolument nécessaire que je pourvusse à un endroit pour faire du feu, et à des provisions de chauffage. De ce que je fis à cette intention, de la manière dont j’agrandis ma grotte, et des aisances que j’y ajoutai, je donnerai amplement le détail en son temps et lieu ; mais il faut d’abord que je parle de moi-même, et du tumulte de mes pensées sur ma vie.

Ma situation m’apparaissait sous un jour affreux ; comme je n’avais échoué sur cette île qu’après avoir été entraîné par une violente tempête hors de la route de notre voyage projeté, et à plusieurs centaines de lieues de la course ordinaire des navigateurs, j’avais de fortes raisons pour croire que, par arrêt du ciel, je devais terminer ma vie de cette triste manière, dans ce lieu de désolation. Quand je faisais ces réflexions, des larmes coulaient en abondance sur mon visage, et quelquefois je me plaignais à moi-même de ce que la Providence pouvait ruiner ainsi complètement ses créatures, les rendre si absolument misérables, et les accabler à un tel point qu’à peine serait-il raisonnable qu’elles lui sussent gré de l’existence.

Mais j’avais toujours un prompt retour sur moi-même, qui arrêtait le cours de ces pensées et me couvrait de blâme. Un jour entre autres, me promenant sur le rivage, mon fusil à la main, j’étais fort attristé de mon sort, quand la raison vint pour ainsi dire disputer avec moi, et me parla ainsi : « Tu es, il est vrai, dans l’abandon ; mais rappelle-toi, s’il te plaît, ce qu’est devenu le reste de l’é-