Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

souffrance, fit son éducation d’homme. Aucune prétention d’écrivain ne se montre dans sa jeunesse.

Cependant les pamphlets pleuvaient de toutes parts. À vingt-un ans, l’envie prend à de Foë de mêler sa voix à tous les cris des factions. Il débute par une plaisanterie, une caricature, une saillie de jeune homme spirituel. C’est un pamphlet qui offre les germes de son talent futur ; livre aujourd’hui fort rare, et qui porte ce titre singulier : Speculum chape-gownorum. Un second pamphlet, sur les guerres de Hongrie et sur les persécutions auxquelles les Protestants hongrois étaient exposés, sortit de la plume du jeune auteur. Ce sont des essais plus remarquables par le nom qu’ils portent, et par le talent qu’ils promettent, que par leur valeur intrinsèque.

Charles II mourut, laissant le trésor épuisé, des germes de dissension dans toutes les classes de la société anglaise, l’état obéré et une mémoire avilie. Jacques II lui succéda. Le duc de Monmouth, fils naturel de Charles, voulut profiter du mécontentement qui couvait en Angleterre, et fit une descente à Lymes, à la tête d’une petite année. C’était surtout aux sectes dissidentes qu’il s’adressait ; c’était à l’intérêt blessé de la masse protestante qu’il avait recours. Le jeune de Foë, qui avait vingt-quatre ans alors, quitta Londres en secret, et courut s’enrôler dans l’armée de Monmouth. Cette entreprise folle et mal conçue, que ce prince aventurier dirigea avec étourderie, se termina par la défaite complète de ses troupes.

De Foë, que son obscurité et sa jeunesse protégeaient sans doute, revint à Londres, où il put voir les débris mutilés de ses complices suspendus aux gibets de la ville. Son père avait fait le commerce de bonneterie. De Foë essaya d’agrandir cet établissement : la plupart de ses contemporains le désignent, avec une sotte ironie, sous le titre de facteur ou d’agent commercial pour cette branche de commerce.

Sous Jacques II, sous la protection spéciale de ce roi hypocrite et maladroit, les dogmes du pouvoir absolu, de la légitimité, du droit divin, de l’obéissance passive, s’élevèrent menaçants dans toutes les églises, dans les pamphlets, dans les journaux, à la cour. Deux pamphlets, qui parurent à cette époque, et qui ne portent pas de nom d’auteur, sont attribués à de Foë ; leur but est de mettre les Dissidents en garde contre les promesses qu’on leur fait et les séductions que l’on tente pour les convertir à la doctrine du pouvoir absolu. Le style de ces pamphlets est vigoureux, la dialectique en est puissante, les principes, alors nouveaux, de la tolérance y sont soutenus avec talent, long-temps avant que Locke les eut consacrés. La politique, dont le pivot actuel est l’esprit d’égalité, avait du vivant de de Foë un mobile et un centre tout différents : la religion.

« Au lieu de se renfermer dans son obstination, dans sa morosité, dans sa dévotion étroite, dit Bollongbroke, si Jacques II avait renvoyé ses mauvais conseillers, assemblé un parlement, eu recours à un système constitutionnel, il aurait conservé la couronne, et même l’exercice libre de sa religion. Mais ce monarque insensé, que des conseillers absurdes poussaient à sa perte, aima mieux être le partisan obscur et la victime d’une opinion idéologique, que le roi d’une nation libre et puissante. »

Les Tories eux-mêmes étaient las de Jacques II. Ses évêques le trompaient ses courtisans se détachaient de lui, Guillaume, prince d’Orange, saisit le moment, débarque, est reçu avec enthousiasme, voit les plus intimes amis de Jacques l’abandonner, grossit son camp de ces déserteur ! qui, la veille, dit de Foë, « ne parlaient que de sauver leur roi aux dépens de leur propre vie », et qui le laissent en butte aux insultes de la canaille ; offre une protection et une sauve-garde à ce prince maladroit et entêté ; l’aide à quitter le royaume, et finit par recevoir des mains du parlement la couronne qu’il n’a pas voulu prendre, et qu’on ne peut donner qu’à lui.

De Foë prit une part active dans ce mouvement ; il quitta Londres, alla au-devant du roi Guillaume et resta constamment un de ses plus fidèles serviteurs.

Heureux de voir s’accomplir la révolution qui promettait aux membres de toutes les sectes le libre exercice de leur religion et la tolérance complète, de Foë continuait à se livrer au commerce avec plus de persévérance que de succès. Il était cependant un des principaux membres de la Cité ; en octobre 1089, son nom figure dans