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MOLL FLANDERS

vrir cette partie, qu’il n’était pas venu comme un étranger, mais comme un fils vers une mère, et en vérité un fils qui n’avait jamais su avant ce que c’était que d’avoir une mère, et en somme nous pleurâmes l’un sur l’autre pendant un temps considérable, jusqu’enfin il s’écria le premier :

— Ma chère mère, dit-il, vous êtes encore vivante ! Je n’avais jamais espéré de voir votre figure.

Pour moi je ne pus rien dire pendant longtemps.

Après que nous eûmes tous deux recouvré nos esprits et que nous fûmes capables de causer, il me dit l’état où étaient les choses. Il me dit qu’il n’avait point montré ma lettre à son père et qu’il ne lui en avait point parlé, que ce que sa grand-mère m’avait laissé était entre ses mains à lui-même et qu’il me rendrait justice à ma pleine satisfaction ; que pour son père, il était vieux et infirme à la fois de corps et d’esprit, qu’il était très irritable et colère, presque aveugle et incapable de tout ; et qu’il faisait grand doute qu’il sût agir dans une affaire qui était de nature aussi délicate ; et que par ainsi il était venu lui-même autant pour se satisfaire en me voyant, ce dont il n’avait pu s’empêcher, que pour me mettre en mesure de juger, après avoir vu où en étaient les choses, si je voulais me découvrir à son père ou non.

Tout cela avait été mené en vérité de manière si prudente et avisée que je vis que mon fils était homme de bon sens et n’avait point besoin d’être instruit par moi. Je lui dis que je ne m’étonnais nullement que son père fût comme il l’avait décrit à cause que sa tête avait été un peu touchée avant mon départ et que son tourment principal avait été qu’il n’avait point pu me persuader de vivre avec lui comme sa femme après que j’avais appris