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MOLL FLANDERS

Comme notre sort était maintenant déterminé et que nous étions tous deux embarqués à réelle destination de la Virginie, dans la méprisable qualité de forçats transportés destinés à être vendus comme esclaves, moi pour cinq ans, et lui tenu sous engagement et caution de ne plus jamais revenir en Angleterre tant qu’il vivrait, il était fort triste et déprimé ; la mortification d’être ramené à bord ainsi qu’il l’avait été comme un prisonnier le piquait infiniment, puisqu’on lui avait dit en premier lieu qu’il serait déporté de façon qu’il parût gentilhomme en liberté : il est vrai qu’on n’avait point donné ordre de le vendre lorsqu’il arriverait là-bas, ainsi qu’on l’avait fait pour nous, et pour cette raison il fut obligé de payer son passage au capitaine, à quoi nous n’étions point tenus : pour le reste, il était autant hors d’état qu’un enfant de faire quoi que ce fût sinon par instructions.

Cependant je demeurai dans une condition incertaine trois grandes semaines, ne sachant si j’aurais mon mari avec moi ou non, et en conséquence n’étant point résolue sur la manière dont je devais recevoir la proposition de l’honnête bosseman, ce qui en vérité lui parut assez étrange.

Au bout de ce temps, voici mon mari venir à bord ; il avait le visage colère et morne ; son grand cœur était gonflé de rage et de dédain, qu’il fût traîné par trois gardiens de Newgate et jeté à bord comme un forçat, quand il n’avait pas tant qu’été amené en jugement. Il en fit faire de grandes plaintes par ses amis, car il semble qu’il eût quelque intérêt, mais ils rencontrèrent quelque obstacle dans leurs efforts, il leur fut répondu qu’on lui avait témoigné assez de faveur et qu’on avait reçu de