Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.
353
MOLL FLANDERS

sincèrement pendant les derniers quinze jours de son existence, sous les agonies de la geôle et du trou des condamnés, qu’il en aurait jamais dans les forêts et déserts de l’Amérique ; que la servitude et les travaux forcés étaient des choses auxquelles des gentilshommes ne pouvaient jamais s’abaisser ; que ce n’était qu’un moyen de les forcer à se faire leurs propres bourreaux, ce qui était bien pire, et qu’il ne pouvait avoir de patience, même quand il ne faisait qu’y penser.

J’usai de mes efforts extrêmes pour le persuader, et j’y joignis l’éloquence connue d’une femme, je veux dire celle des larmes. Je lui dis que l’infamie d’une exécution publique devait peser plus lourdement sur les esprits d’un gentilhomme qu’aucune mortification qu’il pût rencontrer par delà la mer ; qu’au moins dans l’autre cas il avait une chance de vivre, tandis que là il n’en avait point ; que ce serait pour lui la chose la plus aisée du monde que de s’assurer d’un capitaine de navire, étant d’ordinaire gens de bonne humeur ; et qu’avec un peu de conduite, surtout s’il pouvait se procurer de l’argent, il trouverait moyen de se racheter quand il arriverait en Virginie.

Il me jeta un regard plein de désir, et je devinai qu’il voulait dire qu’il n’avait point d’argent ; mais je me trompais ; ce n’était point là ce qu’il entendait.

— Tu viens de me donner à entendre, ma chérie, dit-il, qu’il pourrait y avoir un moyen de revenir avant que de partir, par quoi j’ai entendu qu’il pourrait être possible de se racheter ici. J’aimerais mieux donner deux cents livres pour éviter de partir que cent livres pour avoir ma liberté, une fois que je serai là-bas.