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MOLL FLANDERS

ce temps, dis-je, je fus saisie d’un tremblement, qui n’était pas moins violent que si j’eusse été dans la même condition que le jour d’avant ; j’étais si fortement agitée par ce surprenant accès que j’étais secouée comme si j’eusse été prise d’une fièvre, si bien que je ne pouvais ni parler ni voir, sinon comme une égarée. Sitôt qu’on les eut toutes mises dans les charrettes et qu’elles furent parties, ce que toutefois je n’eus pas le courage de regarder, sitôt, dis-je, qu’elles furent parties, je tombai involontairement dans une crise de larmes, comme si ce fût une indisposition soudaine, et pourtant si violente, et qui me tint si longtemps que je ne sus quel parti prendre ; ni ne pouvais-je l’arrêter ni l’interrompre, non, malgré tout l’effort et le courage que j’y mettais.

Cette crise de larmes me tint près de deux heures, et ainsi que je crois, me dura jusqu’à ce qu’elles fussent toutes sorties de ce monde ; et puis suivit une bien humble, repentante, sérieuse espèce de joie ; ce fut une réelle extase ou une passion de gratitude dans laquelle je passai la plus grande partie du jour.

Ce fut environ quinze jours après, que j’eus quelques justes craintes d’être comprise dans l’ordre d’exécution des assises suivantes ; et ce ne fut pas sans grande difficulté, et enfin par humble pétition d’être déportée que j’y échappai ; si mal étais-je tenue à la renommée, et si forte était la réputation que j’avais d’être une ancienne délinquante au sens de la loi, quoi que je pusse être aux yeux des juges, n’ayant jamais été amenée encore devant eux pour cas judiciaire ; de sorte que les juges ne pouvaient m’accuser d’être une ancienne délin-