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MOLL FLANDERS

réflexions que tout ce qui m’était arrivé jusqu’ici ; je me lamentais nuit et jour, d’autant qu’on m’avait dit qu’il était le capitaine de la bande, et qu’il avait commis tant de vols que Hind, ou Whitney, ou le Fermier d’Or n’étaient que des niais auprès de lui ; qu’il serait sûrement pendu, quand il ne dût pas rester d’autres hommes après lui dans le pays ; et qu’il y aurait abondance de gens pour témoigner contre lui.

Je fus noyée dans la douleur que j’éprouvais ; ma propre condition ne me donnait point de souci, si je la comparais à celle-ci, et je m’accablais de reproches à son sujet ; je me lamentais sur mes infortunes et sur sa ruine d’un tel train que je ne goûtais plus rien comme avant et que les premières réflexions que j’avais faites sur l’affreuse vie que je menais commencèrent à me revenir ; et à mesure que ces choses revenaient, mon horreur de ce lieu et de la manière dont on y vivait me revint ainsi ; en somme je fus parfaitement changée et je devins une autre personne.

Tandis que j’étais sous ces influences de douleur pour lui, je fus avertie qu’à la prochaine session je serais citée devant le grand jury, et qu’on demanderait contre moi la peine de mort. Ma sensibilité avait été déjà touchée ; la misérable hardiesse d’esprit que j’avais acquise s’affaissa et une conscience coupable commença de se répandre dans tous mes sens. En un mot, je me mis à penser ; et de penser, en vérité, c’est un vrai pas d’avancée de l’enfer au ciel ; tout cet endurcissement, cette humeur d’âme, dont j’ai tant parlé, n’était que privation de pensée ; celui qui est rendu à sa pensée est rendu à lui-même.