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MOLL FLANDERS

plaidai là sur ce que je n’avais rien forcé pour m’introduire, ni rien emporté au dehors, le juge fut enclin à me faire mettre en liberté ; mais la première vilaine coquine qui m’avait arrêtée ayant affirmé que j’étais sur le point de m’en aller avec les étoffes, mais qu’elle m’avait arrêtée et tirée en arrière, le juge sans plus attendre, ordonna de me mettre en prison, et on m’emporta à Newgate, dans cet horrible lieu. Mon sang même se glace à la seule pensée de ce nom : le lieu où tant de mes camarades avaient été enfermées sous les verrous, et d’où elles avaient été tirées pour marcher à l’arbre fatal ; le lieu où ma mère avait si profondément souffert, où j’avais été mise au monde, et d’où je n’espérais point de rédemption que par une mort infâme ; pour conclure, le lieu qui m’avait si longtemps attendue, et qu’avec tant d’art et de succès j’avais si longtemps évité.

J’étais maintenant dans une affreuse peine vraiment ; il est impossible de décrire la terreur de mon esprit quand d’abord on me fit entrer et que je considérai autour de moi toutes les horreurs de ce lieu abominable : je me regardai comme perdue, et que je n’avais plus à songer qu’à quitter ce monde, et cela dans l’infamie la plus extrême ; le tumulte infernal, les hurlements, les jurements et la clameur, la puanteur et la saleté, et toutes les affreuses choses d’affliction que j’y voyais s’unissaient pour faire paraître que ce lieu fût un emblème de l’enfer lui-même, et en quelque sorte sa porte d’entrée.

Je ne pus dormir pendant plusieurs nuits et plusieurs jours après que je fus entrée dans ce misérable lieu : et durant quelque temps j’eusse été bien heureuse d’y