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MOLL FLANDERS

Je m’écartai de la boutique comme repoussée par la presse ; et me mêlant à la foule, je sortis à l’autre porte de l’Exchange et ainsi décampai avant qu’on s’aperçût que la dentelle avait disparu, et à cause que je ne voulais pas être suivie, j’appelai un carrosse et m’y enfermai. J’avais à peine fermé les portières du carrosse que je vis la fille du marchand de modes et cinq ou six autres qui s’en allaient en courant dans la rue et qui criaient comme en frayeur. Elles ne criaient pas « au voleur » parce que personne ne se sauvait, mais j’entendis bien les mots « volé » et « dentelles » deux ou trois fois, et je vis la fille se tordre les mains et courir çà et là les yeux égarés comme une hors du sens. Le cocher qui m’avait prise montait sur son siège, mais n’était pas tout à fait monté, et les chevaux n’avaient pas encore bougé, de sorte que j’étais terriblement inquiète et je pris le paquet de dentelles, toute prête à le laisser tomber par le vasistas du carrosse qui s’ouvre par devant, justement derrière le cocher, mais à ma grande joie, en moins d’une minute le carrosse se mit en mouvement, c’est à savoir aussitôt que le cocher fut monté et eut parlé à ses chevaux, de sorte qu’il partit et j’emportai mon butin qui valait près de vingt livres.

J’étais maintenant dans une bonne condition, en vérité, si j’eusse connu le moment où il fallait cesser ; et ma gouvernante disait souvent que j’étais la plus riche dans le métier en Angleterre ; et je crois bien que je l’étais : 700 £ d’argent, outre des habits, des bagues, quelque vaisselle plate, et deux montres d’or, le tout volé, car j’avais fait d’innombrables coups outre ceux que j’ai dits. Oh ! si même maintenant j’avais été tou-