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MOLL FLANDERS

tout ce que je gagnerais quand je serais dame de qualité, aussi bien que maintenant ; par ceci et d’autres choses que je disais, ma vieille gouvernante commença de comprendre ce que je voulais dire par dame de qualité, et que ce n’était pas plus que d’être capable de gagner mon pain par mon propre travail et enfin elle me demanda si ce n’était pas cela.

Je lui dis que oui, et j’insistai pour lui expliquer que vivre ainsi, c’était être dame de qualité ; car, dis-je, il y a une telle, nommant une femme qui raccommodait de la dentelle et lavait les coiffes de dentelle des dames ; elle, dis-je, c’est une dame de qualité, et on l’appelle madame.

— Pauvre enfant, dit ma bonne vieille nourrice, tu pourras bientôt être une personne mal famée, et qui a eu deux bâtards.

Je ne compris rien à cela ; mais je répondis : « Je suis sûre qu’on l’appelle madame, et elle ne va pas en service, et elle ne fait pas le ménage » ; et ainsi je soutins qu’elle était dame de qualité, et que je voulais être dame de qualité, comme elle.

Tout ceci fut répété aux dames, et elles s’en amusèrent et de temps en temps les filles de M. le maire venaient me voir et demandaient où était la petite dame de qualité, ce qui ne me rendait pas peu fière de moi, d’ailleurs j’avais souvent la visite de ces jeunes dames, et elles en amenaient d’autres avec elles ; de sorte que par cela je devins connue presque dans toute la ville.

J’avais maintenant près de dix ans et je commençais d’avoir l’air d’une petite femme, car j’étais extrêmement sérieuse, avec de belles manières, et comme j’avais sou-