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MOLL FLANDERS

morte : d’ailleurs on ne s’inquiéta guère de me débarrasser ou de me faire revenir à moi ; mais je gisais comme une morte, et on me laissa là, jusqu’à l’heure où une personne qui allait pour enlever le lit de plume m’aida à me relever ; ce fut en vérité un miracle si les gens de la maison ne jetèrent point d’autres meubles afin de les y faire tomber, chose qui m’eût inévitablement tuée ; mais j’étais réservée pour d’autres afflictions.

Cet accident toutefois me gâta le marché pour un temps et je rentrai chez ma gouvernante assez meurtrie et fort effrayée, et elle eut bien de la peine à me remettre sur pieds.

C’était maintenant la joyeuse époque de l’année, et la foire Saint-Barthélemy était commencée ; je n’avais jamais fait d’excursion de ce côté-là, et la foire n’était point fort avantageuse pour moi ; cependant cette année j’allai faire un tour dans les cloîtres, et là je tombai dans une des boutiques à rafle. C’était une chose de peu de conséquence pour moi ; mais il entra un gentilhomme extrêmement bien vêtu, et très riche, et comme il arrive d’ordinaire que l’on parle à tout le monde dans ces boutiques, il me remarqua et s’adressa singulièrement à moi ; d’abord il me dit qu’il allait mettre à la rafle pour moi, et c’est ce qu’il fit ; et comme il gagna quelque petit lot, je crois que c’était un manchon de plumes, il me l’offrit ; puis il continua de me parler avec une apparence de respect qui passait l’ordinaire ; mais toujours avec infiniment de civilité, et en façon de gentilhomme.

Il me tint si longtemps en conversation, qu’à la fin il me tira du lieu où on jouait à la rafle jusqu’à la porte de la boutique, puis m’en fit sortir pour me promener dans