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MOLL FLANDERS

dis-je, que c’est par chance quelque pauvre veuve comme moi, qui avait empaqueté ces hardes afin d’aller les vendre pour un peu de pain pour elle et un pauvre enfant, et que maintenant ils meurent de faim et se brisent le cœur par faute du peu que cela leur aurait donné ; et cette pensée me tourmenta plus que tout le reste pendant trois ou quatre jours.

Mais mes propres détresses réduisirent au silence toutes ces réflexions, et la perspective de ma propre faim, qui devenait tous les jours plus terrifiante pour moi, m’endurcit le cœur par degrés. Ce fut alors que pesa surtout sur mon esprit la pensée que j’avais eu des remords et que je m’étais, ainsi que je l’espérais, repentie de tous mes crimes passés ; que j’avais vécu d’une vie sobre, sérieuse et retirée pendant plusieurs années ; mais que maintenant j’étais poussée par l’affreuse nécessité de mes circonstances jusqu’aux portes de la destruction, âme et corps ; et deux ou trois fois je tombai sur mes genoux, priant Dieu, comme bien je le pouvais, pour la délivrance ; mais je ne puis m’empêcher de dire que mes prières n’avaient point d’espoir en elles ; je ne savais que faire ; tout n’était que terreur au dehors et ténèbres au dedans ; et je réfléchissais sur ma vie passée comme si je ne m’en fusse pas repentie, et que le ciel commençât maintenant de me punir, et dût me rendre aussi misérable que j’avais été mauvaise.

Si j’avais continué ici, j’aurais peut-être été une véritable pénitente ; mais j’avais un mauvais conseiller en moi, et il m’aiguillonnait sans cesse à me soulager par les moyens les pires ; de sorte qu’un soir il me tenta encore par la même mauvaise impulsion qui avait dit : prends ce