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MOLL FLANDERS

besoin de sorte que tous deux étaient occupés : et personne d’autre dans la boutique.

Ceci était l’appât ; et le diable qui avait préparé le piège m’aiguillonna, comme s’il eût parlé ; car je me rappelle, et je n’oublierai jamais : ce fut comme une voix soufflée au-dessus de mon épaule : « Prends le paquet ; prends-le vite ; fais-le maintenant. »

À peine fut-ce dit que j’entrai dans la boutique, et, le dos tourné à la fille, comme si je me fusse dressée pour me garer d’une charrette qui passait, je glissai ma main derrière moi et pris le paquet, et m’en allai avec, ni la servante, ni le garçon ne m’ayant vue, ni personne d’autre.

Il est impossible d’exprimer l’horreur de mon âme pendant tout le temps de cette action. Quand je m’en allai, je n’eus pas le cœur de courir, ni à peine de changer la vitesse de mon pas ; je traversai la rue, en vérité, et je pris le premier tournant que je trouvai, et je crois que c’était une rue de croisée qui donnait dans Fenchurch-Street ; de là je traversai et tournai par tant de chemins et de tournants que je ne saurais jamais dire quel chemin je pris ni où j’allais ; je ne sentais pas le sol sur lequel je marchais, et plus je m’éloignais du danger, plus vite je courais, jusqu’à ce que, lasse et hors d’haleine, je fus forcée de m’asseoir sur un petit banc à une porte, et puis découvris que j’étais arrivée dans Thames-Street, près de Billingsgate. Je me reposai un peu et puis continuai ma route ; mon sang était tout en un feu, mon cœur battait comme si je fusse en une frayeur soudaine ; en somme j’étais sous une telle surprise que je ne savais ni où j’allais ni quoi faire.