Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
MOLL FLANDERS

J’ai vécu avec ce mari dans la plus parfaite tranquillité ; c’était un homme calme, sobre et de bon sens, vertueux, modeste, sincère, et en ses affaires diligent et juste ; ses affaires n’embrassaient pas un grand cercle et ses revenus suffisaient pleinement à vivre sur un pied ordinaire ; je ne dis pas à tenir équipage ou à faire figure, ainsi que dit le monde, et je ne m’y étais point attendue ni ne le désirais ; car ainsi que j’avais horreur de la légèreté et de l’extravagance de ma vie d’auparavant, ainsi avais-je maintenant choisi de vivre retirée, de façon frugale, et entre nous ; je ne recevais point de société, ne faisais point de visites ; je prenais soin de ma famille et j’obligeais mon mari ; et ce genre de vie me devenait un plaisir.

Nous vécûmes dans un cours ininterrompu d’aise et de contentement pendant cinq ans, quand un coup soudain d’une main presque invisible ruina tout mon bonheur et me jeta en une condition contraire à toutes celles qui avaient précédé.

Mon mari ayant confié à un de ses clercs associés une somme d’argent trop grande pour que nos fortunes pussent en supporter la perte, le clerc fit faillite, et la perte tomba très lourdement sur mon mari. Cependant elle n’était pas si forte que s’il eût eu le courage de regarder ses malheurs en face, son crédit était tellement bon, qu’ainsi que je lui disais, il eût pu facilement la recouvrer ; car se laisser abattre par la peine, c’est en doubler le poids, et celui qui veut y mourir, y mourra.

Il était en vain d’essayer de le consoler ; la blessure était trop profonde ; c’est un coup qui avait percé les entrailles ; il devint mélancolique et inconsolable, et de là