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MOLL FLANDERS

bilité d’être touchée par le sentiment religieux et les scrupules du meurtre, ainsi était-elle également impénétrable à tout ce qui se rapportait à l’affection. Elle me demanda si elle ne m’avait pas soignée et caressée pendant mes couches comme si j’eusse été son propre enfant. Je lui dis que je devais avouer que oui.

— Eh bien, ma chère, dit-elle, et quand vous serez partie, que serez-vous pour moi ? Et que pourrait-il me faire d’apprendre que vous allez être pendue ? Pensez-vous qu’il n’y a pas des femmes qui parce que c’est leur métier et leur gagne-pain, mettent leur point d’honneur à avoir soin des enfants autant que si elles étaient leurs propres mères ? Allez, allez, mon enfant, dit-elle, ne craignez rien. Comment avons-nous été nourries nous-mêmes ? Êtes-vous bien sûre d’avoir été nourrie par votre propre mère ? et pourtant voilà de la chair potelée et blonde, mon enfant, dit la vieille mégère, en me passant la main sur les joues. N’ayez pas peur, mon enfant, dit-elle, en continuant sur son ton enjoué ; je n’ai point d’assassins à mes ordres ; j’emploie les meilleures nourrices qui se puissent trouver et j’ai aussi peu d’enfants qui périssent en leurs mains, que s’ils étaient nourris par leurs mères ; nous ne manquons ni de soin ni d’adresse.

Elle me toucha au vif quand elle me demanda si j’étais sûre d’avoir été nourrie par ma propre mère ; au contraire, j’étais sûre qu’il n’en avait pas été ainsi ; et je tremblai et je devins pâle sur le mot même. « Sûrement, me dis-je, cette créature ne peut être sorcière, et avoir tenu conversation avec un esprit qui pût l’informer de ce que j’étais avant que je fusse capable de le savoir moi-même. » Et je la regardai pleine d’effroi. Mais réfléchis-