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MOLL FLANDERS

qu’on devait me donner ; et tout était si joli et si net qu’en somme je n’eus rien à dire, mais fus merveilleusement charmée de ce que j’avais rencontré, qui, considérant la mélancolique condition où je me trouvais, était bien au delà de ce que j’avais espéré.

On pourrait attendre que je donnasse quelque compte de la nature des méchantes actions de cette femme, entre les mains de qui j’étais maintenant tombée ; mais ce serait trop d’encouragement au vice que de faire voir au monde, comme il était facile à une femme de se débarrasser là du faix d’un enfant clandestin. Cette grave matrone avait plusieurs sortes de procédés ; et l’un d’entre eux était que si un enfant naissait quoique non dans sa maison (car elle avait l’occasion d’être appelée à maintes besognes privées), elle avait des gens toujours prêts, qui, pour une pièce d’argent, leur ôtaient l’enfant de dessus les bras, et de dessus les bras de la paroisse aussi ; et ces enfants, comme elle disait, étaient fort honnêtement pourvus ; ce qu’ils devenaient tous, regardant qu’il y en avait tant, par le récit qu’elle en faisait, je ne puis le concevoir.

Je tins bien souvent avec elle des discours sur ce sujet ; mais elle était pleine de cet argument qu’elle sauvait la vie de maint agneau innocent, comme elle les appelait, qui aurait peut-être été assassiné, et de mainte femme qui, rendue désespérée par le malheur, aurait autrement été tentée de détruire ses enfants. Je lui accordai que c’était la vérité, et une chose bien recommandable, pourvu que les pauvres enfants tombassent ensuite dans de bonnes mains, et ne fussent pas maltraités et abandonnés par les nourrices. Elle me répondit qu’elle avait toujours grand soin de cet article-là, et qu’elle n’avait point de nourrices