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MOLL FLANDERS

Londres et d’aller là-bas pour tenter la fortune ; et que s’il voyait qu’il pouvait disposer une manière de vivre aisée et qui s’accordât au respect qu’il entretenait pour moi, ainsi qu’il ne doutait point de pouvoir le faire, il traverserait l’eau pour venir me chercher.

J’eus affreusement peur que sur une telle proposition il m’eût prise au mot, c’est-à-dire qu’il me fallût convertir mon petit revenu en argent liquide qu’il emporterait en Irlande pour tenter son expérience ; mais il avait trop de justice pour le désirer ou pour l’accepter, si je l’eusse offert : et il me devança là-dessus ; car il ajouta qu’il irait tenter la fortune en cette façon, et que s’il trouvait qu’il pût faire quoi que ce soit pour vivre, en y ajoutant ce que j’avais, nous pourrions bravement subsister tous deux ; mais qu’il ne voulait pas risquer un shilling de mon argent, jusqu’à ce qu’il eût fait son expérience avec un peu du sien, et il m’assura que s’il ne réussissait pas en Irlande, il reviendrait me trouver et qu’il se joindrait à moi pour mon dessein en Virginie.

Je ne pus l’amener à rien de plus, par quoi nous nous entretînmes près d’un mois durant lequel je jouis de sa société qui était la plus charmante que j’eusse encore trouvée dans toute ma vie. Pendant ce temps il m’apprit l’histoire de sa propre existence, qui était surprenante en vérité, et pleine d’une variété infinie, suffisante à emplir un plus beau roman d’aventures et d’incidents qu’aucun que j’aie vu d’imprimé ; mais j’aurai l’occasion là-dessus d’en dire plus long.

Nous nous séparâmes enfin, quoique avec la plus extrême répugnance sur ma part ; et vraiment il prit congé de moi bien à contre-cœur ; mais la nécessité l’y con-