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MOLL FLANDERS

lui dis qu’elle m’avait presque tentée d’aller vivre dans son pays ; car moi qui étais veuve, bien que j’eusse suffisamment pour vivre, cependant je n’avais pas de moyens d’augmenter mes revenus, et que Londres était un endroit rempli d’extravagances ; que je voyais bien que je ne pourrais y vivre à moins de cent livres par an, sinon en me privant de toute compagnie, de domestique, en ne paraissant jamais dans la société, en m’enterrant dans le privé, comme si j’y fusse contrainte par nécessité.

J’aurais dû observer qu’on lui avait toujours fait croire, ainsi qu’à tout le monde, que j’étais une grande fortune, ou au moins que j’avais trois ou quatre mille livres, sinon plus, et que le tout était entre mes mains ; et elle se montra infiniment engageante, sitôt qu’elle vit que j’avais l’ombre d’un penchant à aller dans son pays ; elle me dit qu’elle avait une sœur qui vivait près de Liverpool, que son frère y était gentilhomme de fort grande importance, et avait aussi de vastes domaines en Irlande ; qu’elle partirait elle-même pour s’y rendre dans deux mois ; et que si je voulais bien lui accorder ma société jusque-là, je serais reçue aussi bien qu’elle-même, un mois ou davantage, s’il me plaisait, afin de voir si le pays me conviendrait ; et que si je me décidais à m’y établir, elle s’engageait à veiller, quoiqu’ils n’entretinssent pas eux-mêmes de pensionnaires, à ce que je fusse recommandée à quelque famille agréable où je serais placée à ma satisfaction.

Si cette femme avait connu ma véritable condition, elle n’aurait jamais tendu tant de pièges ni fait tant de lassantes démarches pour prendre une pauvre créature