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MOLL FLANDERS

fortunes, et la conséquence en était que je n’avais personne pour me donner conseil, et par-dessus tout, que je n’avais personne à qui je pusse en confidence dire le secret de ma condition ; et je trouvai par expérience qu’être sans amis est la pire des situations, après la misère, où une femme puisse être réduite ; je dis « femme » parce qu’il est évident que les hommes peuvent être leurs propres conseillers et directeurs et savoir se tirer des difficultés et des affaires mieux que les femmes ; mais si une femme n’a pas d’ami pour lui faire part de ses ennuis, pour lui donner aide et conseil, c’est dix contre un qu’elle est perdue, oui, et plus elle a d’argent, plus elle est en danger d’être trompée et qu’on lui fasse tort : et c’était mon cas dans l’affaire des 100 £ que j’avais laissées aux mains de l’orfèvre que j’ai dit, dont le crédit, paraît-il, allait baissant déjà auparavant ; mais n’ayant personne que je pusse consulter, je n’en avais rien appris et perdu mon argent.

Quand une femme est ainsi esseulée et vide de conseil, elle est tout justement semblable à un sac d’argent ou à un joyau tombé sur la grand’route qui sera la proie du premier venu : s’il se rencontre un homme de vertu et de bons principes pour le trouver, il le fera crier par le crieur, et le propriétaire pourra venir à le savoir ; mais combien de fois de telles choses tomberont-elles dans des mains qui ne se feront pas scrupule de les saisir pour une fois qu’elles viendront en de bonnes mains ?

C’était évidemment mon cas, car j’étais maintenant une femme libre, errante et déréglée, et n’avais ni aide ni assistance, ni guide de ma conduite ; je savais ce que je visais et ce dont j’avais besoin, mais je ne savais rien