Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
MOLL FLANDERS

resterait caché, moi seule je serais malheureuse, mais que s’il l’apprenait aussi, nous le deviendrions tous les deux ; et qu’ainsi la chose la plus tendre que je pusse faire était de le tenir dans les ténèbres, et que c’était la seule raison qui me portait à lui tenir secret un mystère dont je pensais que la garde même amènerait tôt ou tard ma destruction.

Il est impossible d’exprimer la surprise que lui donnèrent ces paroles, et la double importunité dont il usa envers moi pour obtenir une révélation ; il m’assura qu’on ne pourrait me dire tendre pour lui, ni même fidèle, si je continuais à garder le secret. Je lui dis que je le pensais aussi bien, et que pourtant je ne pouvais me résoudre. Il revint à ce que j’avais dit autrefois, et me dit qu’il espérait que ce secret n’avait aucun rapport avec les paroles que m’avait arrachées la colère, et qu’il avait résolu d’oublier tout cela, comme l’effet d’un esprit prompt et excité. Je lui dis que j’eusse bien voulu pouvoir tout oublier moi aussi, mais que cela ne pouvait se faire, et que l’impression était trop profonde.

Il me dit alors qu’il était résolu à ne différer avec moi en rien, et qu’ainsi il ne m’importunerait plus là-dessus, et qu’il était prêt à consentir à tout ce que je dirais ou ferais ; mais qu’il me suppliait seulement de convenir que, quoi que ce pût être, notre tendresse l’un pour l’autre n’en serait plus jamais troublée.

C’était la chose la plus désagréable qu’il pût me dire, car vraiment je désirais qu’il continuât à m’importuner afin de m’obliger à avouer ce dont la dissimulation me semblait être la mort ; de sorte que je répondis tout net que je ne pouvais dire que je serais heureuse de ne plus