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MOLL FLANDERS

Il ne se passa longtemps, comme vous pouvez bien penser, que nous eûmes une seconde conférence sur le même sujet, où, semblant feindre d’oublier son histoire qu’elle m’avait dite, ou supposer que j’avais oublié quelques-uns des détails, elle se prit à les raconter avec des changements et des omissions ; mais je lui rafraîchis la mémoire sur beaucoup de points que je pensais qu’elle avait oubliés, puis j’amenai le reste de l’histoire de façon si opportune qu’il lui fut impossible de s’en dégager, et alors elle retomba dans ses rapsodies et ses exclamations sur la dureté de ses malheurs. Quand tout cela fut un peu dissipé, nous entrâmes en débat serré sur ce qu’il convenait de faire d’abord avant de rien expliquer à mon mari. Mais à quel propos pouvaient être toutes nos consultations ? Aucune de nous ne pouvait voir d’issue à notre anxiété ou comment il pouvait être sage de lui dévoiler une pareille tragédie ; il était impossible de juger ou de deviner l’humeur dont il recevrait le secret, ni les mesures qu’il prendrait ; et s’il venait à avoir assez peu le gouvernement de soi-même pour le rendre public, il était facile de prévoir que ce serait la ruine de la famille entière ; et si enfin il saisissait l’avantage que la loi lui donnerait, il me répudierait peut-être avec dédain, et me laisserait à lui faire procès pour la pauvre dot que je lui avais apportée, et peut-être la dépenser en frais de justice pour être mendiante en fin de compte ; et ainsi le verrais-je peut-être au bout de peu de mois dans les bras d’une autre femme, tandis que je serais moi-même la plus malheureuse créature du monde. Ma mère était aussi sensible à tout ceci que moi ; et en somme nous ne savions que faire. Après quelque temps nous en vînmes