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MOLL FLANDERS

j’étais grosse d’un troisième des œuvres de mon propre frère, et que je couchais encore avec lui toutes les nuits.

J’étais maintenant la plus malheureuse de toutes les femmes au monde. Oh ! si l’histoire ne m’avait jamais été dite, tout aurait été si bien ! ce n’aurait pas été un crime de coucher avec mon mari, si je n’en avais rien su !

J’avais maintenant un si lourd fardeau sur l’esprit que je demeurais perpétuellement éveillée ; je ne pouvais voir aucune utilité à le révéler, et pourtant le dissimuler était presque impossible ; oui, et je ne doutais pas que je ne parlerais pendant mon sommeil et que je dirais le secret à mon mari, que je le voulusse ou non ; si je le découvrais, le moins que je pouvais attendre était de perdre mon mari ; car c’était un homme trop délicat et trop honnête pour continuer à être mon mari après qu’il aurait su que j’étais sa sœur ; si bien que j’étais embarrassée au dernier degré.

Je laisse à juger à tous les hommes les difficultés qui s’offraient à ma vue : j’étais loin de mon pays natal, à une distance prodigieuse, et je ne pourrais trouver de passage pour le retour ; je vivais très bien, mais dans une condition insupportable en elle-même ; si je me découvrais à ma mère, il pourrait être difficile de la convaincre des détails, et je n’avais pas de moyen de les prouver ; d’autre part, si elle m’interrogeait ou si elle doutait de mes paroles, j’étais perdue ; car la simple suggestion me séparerait immédiatement de mon mari, sans me gagner ni sa mère ni lui, si bien qu’entre la surprise d’une part, et l’incertitude de l’autre, je serais sûrement perdue.

Cependant, comme je n’étais que trop sûre de la vé-