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enfants et ne les laisseraient pas tomber à la charge de la paroisse ; sa femme était jeune et belle, et il pensait qu’elle se remarierait, peut-être, avantageusement ; c’était pour cette raison qu’il ne lui avait jamais écrit ni fait savoir qu’il était vivant, afin qu’elle pût, au bout d’un raisonnable terme d’années, se marier et, peut-être, améliorer sa fortune ; il était résolu à ne jamais faire valoir ses droits sur elle ; il se réjouirait même d’apprendre qu’elle se serait établie suivant ses désirs ; il souhaitait qu’il y eût une loi autorisant une femme à se marier si son mari disparaissait sans qu’on entendît parler de lui pendant un si long temps ; ce temps, pensait-il, ne devrait pas être fixé au delà de quatre années, période assez longue pour faire tenir un mot à sa femme ou à sa famille, de n’importe quelle partie du monde.

Amy répondit qu’elle ne pouvait rien dire à cela, sinon qu’elle était convaincue que sa maîtresse n’épouserait personne, à moins d’avoir de quelqu’un qui l’aurait vu enterrer, la nouvelle certaine de sa mort.

« Mais, hélas ! ajouta-t-elle, ma maîtresse a été réduite à une si lugubre situation que personne ne serait assez fou pour penser à elle, à moins que de vouloir aller avec elle mendier de compagnie. »

Amy le voyant si parfaitement sa dupe, lui fit ensuite une longue et lamentable complainte de ce qu’on l’avait abusée jusqu’à lui faire épouser un pauvre valet.

« Car il n’est ni plus ni moins, disait-elle, quoi qu’il s’intitule, le gentilhomme d’un grand seigneur. Et voici qu’il m’a entraînée dans un pays étranger pour me réduire à la mendicité. »

Et elle se remit à brailler et à pleurnicher. Ce n’était que feinte hypocrite, soit dit en passant ; mais elle le faisait tellement d’après nature qu’elle le déçut complètement et qu’il donna à chacune de ses paroles le plus entier crédit.

« Mais Amy, dit-il, vous êtes très bien vêtue ; vous n’avez pas l’air de courir le danger de devenir mendiante.

» — Ah ! oui, que le diable les emporte ! répondit Amy. Ici, on aime à avoir de beaux habits, quand même on n’aurait jamais une chemise dessous ; mais moi je préfère avoir de l’argent comptant, plutôt qu’un coffre plein de belles hardes. D’ail- -