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Je pense que je puis maintenant dire que je vivais vraiment comme une reine ; ou, si vous voulez me faire confesser que ma condition avait encore la souillure de la prostituée, je puis dire que j’étais, à coup sûr, la reine des prostituées ; car jamais femme, n’ayant que l’état de maîtresse, ne fût plus appréciée et plus caressée par une personne de ce rang. J’avais, il est vrai, un défaut qu’on peut rarement reprocher aux femmes dans des circonstances semblables : jamais de la vie je ne lui demandai rien, ni ne permis qu’on se servît de moi, comme ce n’est que trop la coutume des maîtresses, pour demander des faveurs pour d’autres. Dans le premier cas, sa générosité m’en empêcha toujours ; et, dans le second, ce fut ma stricte retraite, qui n’était pas moins à ma convenance qu’à la sienne.

La seule faveur que je lui demandai jamais fut pour son gentilhomme, auquel il avait, pendant tout le temps, confié le secret de notre affaire. Celui-ci l’avait une fois tellement offensé par quelques omissions dans les devoirs de sa charge, qu’il trouvait très difficile de faire sa paix. Il vint exposer son cas à ma femme de chambre Amy, et la pria de me parler afin que j’intercédasse pour lui. Je le fis, et, à cause de moi, on le reçut de nouveau et lui pardonna. Le reconnaissant coquin m’en paya en se glissant dans le lit de sa bienfaitrice Amy, ce dont je fus très en colère ; mais Amy déclara généreusement que c’était de sa faute, à elle, autant que de la sienne, à lui ; et qu’elle aimait l’individu au point qu’elle croyait qu’elle le lui aurait demandé s’il ne le lui avait demandé lui-même. Ceci, dis-je, m’apaisa et je me contentai d’obtenir d’elle qu’elle ne lui ferait pas connaître que je le savais.

J’aurais pu entremêler cette partie de mon récit d’un grand nombre d’anecdotes et de conversations qui se passèrent entre ma servante Amy et moi ; mais je les omets dans l’intérêt de ma propre histoire qui a été si extraordinaire. Cependant, il faut que je parle un peu d’Amy et de son gentilhomme.

Je m’informai auprès d’Amy dans quelle circonstance ils en étaient venus à ce point d’intimité ; mais elle sembla peu disposée à s’expliquer. Je ne me souciai pas de la presser sur une affaire de cette nature, sachant qu’elle aurait pu répondre à ma