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mourrez pas ; d’ailleurs, tout ce que vous avez est à vous ; faites-en ce qu’il vous plaira. »

J’étais alors à environ deux mois de mon terme, et cela fut vite passé. Au moment où je m’aperçus que l’heure était venue, il se trouva très heureusement qu’il était à la maison, et je le suppliai de rester quelques heures de plus, ce à quoi il consentit. On appela Son Altesse pour la faire entrer dans la chambre, s’il lui plaisait, comme je le lui avais offert et comme je le désirais ; et je lui envoyai dire que je ferais aussi peu de cris que possible pour éviter de le gêner. Il vint dans la chambre une fois, m’exhorta à avoir bon courage, disant que ce serait vite fini, puis se retira. Au bout d’une demi-heure environ, Amy lui porta la nouvelle que j’étais délivrée et que j’avais mis au monde un garçon charmant. Il lui donna dix pistoles pour sa nouvelle, et attendit qu’on eût tout mis en ordre autour de moi ; il rentra alors dans la chambre, m’encouragea, me parla avec bonté, regarda l’enfant, puis se retira, et revint me voir le lendemain.

Depuis, lorsque j’ai jeté un regard en arrière sur ces choses avec des yeux libres de la domination du crime, que le côté pervers m’en est apparu sous un jour plus clair, et que je l’ai vu avec ses couleurs naturelles, n’étant plus aveuglée par les brillantes apparences qui me décevaient en ce temps-là et qui, comme dans les cas semblables, si je puis juger des autres par moi-même, possèdent trop fortement l’esprit ; depuis, dis-je, je me suis souvent demandé quel plaisir, quelle satisfaction le prince pouvait avoir à regarder le pauvre innocent petit enfant, qui, tout en étant le sien, et bien qu’il pût de ce côté lui inspirer quelque sentiment d’affection, devait cependant toujours, dans la suite, lui rappeler sa faute première, et, chose pire encore, se charger, sans l’avoir méritée, d’une marque éternelle d’infamie, dont on lui ferait, en toute occasion un reproche, à cause de la folie de son père et de la perversité de sa mère.

Les grands personnages sont, à la vérité, délivrés du fardeau de leurs enfants naturels ou bâtards, quant à ce qui concerne l’entretien. C’est le principal tourment dans les autres cas, où il n’y a point de ressources suffisantes pour eux sans empiéter sur la fortune de la famille. Dans ces cas-là, ou les enfants