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envoya son gentilhomme chez le mercier m’acheter un habit complet, ou toute une pièce du plus beau brocard de soie, brodé d’or ; un autre brodé d’argent, et un autre de cramoisi ; de sorte que j’avais trois habits complets tels que la reine de France n’aurait pas dédaigné de les porter en ce temps-là. Cependant, je n’allais nulle part ; mais comme ils étaient pour être portés quand je sortirais de deuil, je les mettais toujours l’un après l’autre, lorsque Son Altesse venait me voir.

Outre cela, je n’avais pas moins de cinq différents vêtements du matin, de façon à n’avoir jamais besoin de paraître deux fois de suite avec la même toilette. Il y ajouta plusieurs pièces de toile fine et de dentelle, tellement que je n’avais plus la possibilité d’en demander davantage, et que même je n’en aurais pas demandé tant.

Une fois, je pris la liberté, dans nos épanchements, de lui dire qu’il était trop généreux, que j’étais une maîtresse trop onéreuse, et que je serais sa fidèle servante à moindres frais ; que non seulement il ne me laissait aucune occasion de lui demander rien, mais qu’il me fournissait d’une telle profusion de bonnes choses que je pouvais à peine les porter ou m’en servir, à moins de tenir grand équipage, ce qu’il savait n’être en aucune façon convenable ni pour lui ni pour moi. Il sourit, me prit dans ses bras, et me dit qu’il voulait, tant que je serais à lui, que je n’eusse pas la possibilité de lui faire une demande, mais que lui me demanderait chaque jour de nouvelles faveurs.

Lorsque nous fûmes levés (car cette conversation se faisait au lit), il me pria de me revêtir de mes plus beaux habits. C’était un jour ou deux après que les trois vêtements avaient été faits et apportés à la maison. Je lui dis que, s’il le voulait bien, je mettrais plutôt le vêtement que je savais qu’il aimait le mieux. Il me demanda comment je pouvais savoir lequel il aimerait le mieux avant qu’il les eût vus. Je lui répondis que j’aurais pour une fois la présomption de deviner son goût d’après le mien.

Je me retirai donc et revêtis le second habit, de brocard d’argent ; et je revins en grande toilette, avec une parure de dentelle sur la tête qui, en Angleterre, aurait valu deux cents livres sterling. J’étais, dans tous les détails, aussi bien arrangée