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prendre soin de lui, ce serait un honneur pour moi de lui verser à boire. Mais, comme auparavant, il ne voulut jamais me le permettre. Nous nous assîmes donc et mangeâmes ensemble.

« Maintenant, madame, dit le prince, permettez-moi de laisser de côté mon titre. Causons ensemble avec la liberté qu’on a entre égaux. Mon rang me place à distance de vous et fait que vous êtes cérémonieuse. Votre beauté vous relève plus que ne le ferait l’égalité de la naissance. Il faut que je vous traite comme les amants traitent leurs maîtresses ; mais je ne sais pas parler leur langage : c’est assez de vous dire combien vous me semblez aimable, combien je suis étonné de votre beauté, et que j’ai résolu de vous rendre heureuse et d’être heureux avec vous. »

Je ne sus que lui dire pendant un bon moment ; mais je rougis, et levant les yeux vers lui, je répondis que j’étais déjà heureuse de la faveur d’une personne de son rang, et que je n’avais rien à demander à Son Altesse que de croire que je lui étais infiniment obligée.

Lorsqu’il eut mangé, il répandit les sucreries sur mes genoux, et le vin étant tout bu, il rappela son gentilhomme pour enlever la table. Celui-ci ne retira d’abord que le tapis et les débris de ce qu’il y avait à manger ; puis, mettant un autre tapis, il plaça la table d’un côté de la chambre, avec un magnifique service d’argenterie dessus, qui valait au moins deux cents pistoles. Puis, ayant remis les deux carafes sur la table, remplies comme devant, il se retira. Je trouvai que le gaillard entendait très bien son affaire, et les affaires de son maître aussi.

Au bout d’une demi-heure environ, le prince me dit que je m’étais proposé pour le servir un peu auparavant, et que, si je voulais maintenant en prendre la peine, il m’autorisait à lui donner un peu de vin. J’allai donc à la table, et je remplis un verre de vin que je lui apportai sur le beau plateau où étaient placés les verres ; j’apportai en même temps de l’autre main la bouteille ou carafe d’eau, pour qu’il en mît ce qui lui convenait.

Il sourit et me dit de regarder ce plateau ; ce que je fis, en l’admirant beaucoup, car il était véritablement très beau.