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lorsque Son Altesse aurait l’intention de me faire visite, elle l’enverrait auparavant m’en donner avis, et qu’il m’en préviendrait tout de son mieux.

Il revint plusieurs fois pour la même affaire, c’est-à-dire pour la constitution de rente, cette donation exigeant l’accomplissement de plusieurs formalités pour être payée sans aller demander chaque fois au prince un nouveau mandat. Je ne comprenais pas bien tous ces détails ; mais, dès que ce fut fini, et cela dura plus de deux mois, le gentilhomme vint une après-midi, me dire que Son Altesse avait dessein de venir me voir dans la soirée, mais désirait être reçue sans cérémonie.

Non seulement je préparai mes appartements, mais je les préparai moi-même. Lorsqu’il entra, il n’y avait personne dont la présence fût visible dans la maison, à l’exception de son gentilhomme et de ma servante Amy. Et, au sujet de celle-ci, je priai le gentilhomme de faire savoir à Son Altesse que c’était une Anglaise, qu’elle ne comprenait pas un mot de français, et qu’enfin c’était une personne à qui l’on pouvait se fier.

Dès qu’il entra dans ma chambre, je me jetai à ses pieds avant qu’il pût s’avancer pour me saluer, et, en termes que j’avais préparés, pleins de soumission et de respect, je le remerciai de sa libéralité et de sa bonté envers une pauvre femme désolée, accablée du poids d’un si terrible désastre ; et je ne voulus pas me relever avant qu’il m’eût accordé l’honneur de lui baiser la main.

« Levez-vous donc[1], dit enfin le prince en me prenant dans ses bras. Je vous réserve d’autres faveurs que cette bagatelle. » Et, continuant, il ajouta :

« Vous trouverez à l’avenir un ami là où vous ne le cherchiez pas, et je veux vous faire voir combien je sais être bon pour celle qui est à mes yeux la plus aimable créature de la terre. »

Je portais une sorte de costume de demi-deuil ; j’avais rejeté mes longs voiles de veuve, et ma tête, bien que je n’eusse encore ni rubans ni dentelle, était coiffée d’une façon qui ne manquait pas de me faire ressortir assez à mon avantage ; car

  1. Les mots en italiques sont en français dans le texte de Defoe. N. D. T.