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conseiller au parlement. Lorsque j’eus exposé mon cas devant lui, il me conseilla de faire un procès en revendication de dot contre la succession, pour justifier de ma nouvelle fortune par le mariage ; ce que je fis. En somme, le gérant s’en retourna en Angleterre, enchanté d’avoir touché la lettre de change non acceptée, qui était de dix mille cinq cents livres sterling, avec quelques autres choses qui montaient ensemble à dix-sept mille livres ; et de cette façon je fus débarrassée de lui.

Je reçus, dans cette triste occasion de la perte de mon mari, — car on pensait qu’il l’était, — la visite pleine de civilité de beaucoup de dames de haut rang. Le prince de ***, à qui il était censé porter des bijoux, m’envoya son gentilhomme avec un très aimable compliment de condoléance ; et ce gentilhomme, qu’il en eût ou qu’il n’en eût pas l’ordre, me fit entendre que Son Altesse avait l’intention de me rendre visite elle-même, mais que quelque accident, dont il me fit une longue histoire, l’en avait empêchée.

Grâce au concours des dames et des autres personnes qui vinrent ainsi me voir, je finis par être très connue ; et comme je n’oubliais pas de me montrer aussi avantageusement qu’il est possible sous le costume de veuve, lequel était, en ce temps-là, une chose absolument effrayante, — comme j’en agissais ainsi, dis-je, par vanité personnelle, car je n’ignorais pas que j’étais très belle, — je dis donc qu’à cause de cela, je devins bientôt une sorte de personnage public, connu sous le nom de la belle veuve de Poitou[1]. J’étais très heureuse de me voir ainsi honorablement traitée dans mon affliction ; aussi séchai-je bientôt mes larmes ; et, tout en ayant l’air d’une veuve, j’avais l’air, comme nous disons en Angleterre, d’une veuve consolée. J’eus soin de montrer aux dames que je savais recevoir, et que je n’étais pas en peine de me conduire convenablement vis-à-vis de chacune d’elles. Bref, je commençai à être très populaire à Paris. Mais il se présenta dans la suite une occasion qui me fit renoncer à cette ligne de conduite, comme vous allez l’apprendre tout à l’heure.

  1. Voici l’expression de Defoe : « by the name of la belle veufeu de Poictou, or the pretty widow of Poictou. » N. D. T.