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rière le carrosse, un valet de pied qu’ils assommèrent avec la crosse ou le bout d’une carabine. On supposa qu’ils le tuèrent de rage de ne pas trouver sa boîte ou cassette à diamants, qu’ils savaient qu’il portait ordinairement sur lui ; et on fit cette supposition parce qu’après l’avoir tué, ils obligèrent le cocher à s’écarter de la route fort loin à travers la lande, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés en un lieu commode, où ils le tirèrent du carrosse et fouillèrent ses habits plus minutieusement qu’ils ne l’avaient pu faire lorsqu’il était vivant.

Mais ils ne trouvèrent que sa petite bague, six pistoles, et la valeur d’environ sept livres de France en menue monnaie.

Ce fut un coup terrible pour moi ; et cependant je ne puis dire que j’en fus aussi surprise que je l’aurais été dans d’autres circonstances ; car, depuis son départ, mon esprit avait été constamment accablé du poids de mes pensées, et j’étais si certaine de ne plus le revoir que rien je crois ne peut se comparer à ce pressentiment. L’impression était si forte que je ne pense pas que l’imagination seule puisse faire une si profonde blessure ; et j’étais si abattue et désolée que, lorsque je reçus la nouvelle de la catastrophe, il n’y avait place en moi pour aucune altération extraordinaire. J’avais pleuré toute la journée ; je n’avais rien mangé, et n’avais fait, si je puis dire, qu’attendre la lugubre nouvelle, qui me fut apportée vers les cinq heures de l’après-midi.

J’étais dans un pays étranger, et, bien que mes connaissances y fussent assez nombreuses, je n’avais que bien peu d’amis que je pusse consulter en cette occasion. On fit toutes les recherches possibles des bandits qui s’étaient montrés si barbares ; mais on ne put rien apprendre. Il n’était pas possible que le valet de pied aidât en rien à les découvrir par ses descriptions, car ils l’avaient assommé dès le commencement, en sorte qu’il n’avait rien vu de ce qui s’était fait ensuite. Le cocher était le seul qui pût dire quelque chose, et tout son récit se bornait à ceci : que l’un d’eux avait des vêtements de soldat, mais qu’il ne pouvait se rappeler les détails de son équipement de façon à reconnaître à quel régiment il appartenait ; et que, quant à leurs visages, il ne pouvait en rien savoir, parce que tous avaient des masques.